D’emblée je vous présente mes excuses pour les stéréotypes, raccourcis, généralisations et œuvres de science-fiction truffant cet article, qui amènent à considérer que si l’on continue cette trajectoire numérique, l’être humain se calibrera comme une tomate de supermarché.
L’invention de l’écriture, passage entre deux mondes, celui de la préhistoire (de la trace non écrite) à l’histoire (à la trace écrite) fait croire à l’Homme qu’il, au-travers de ses propres mythes, peut façonner sa civilisation. A Sumer, on nomme les « murailles » pour leur donner force, et les faire exister. Aujourd'hui, nous dogmatisons, au travers de toujours plus de Traces (numériques), la prédiction de comportements individuels, la manipulation et le gouvernement de nos sociétés. Nous donnons aux Traces la Force de signifier (donner du sens).
Premier mythe
Virginie Steiner, membre de l'Institut du Numérique Responsable |
Mais nous occultons les biais, comme Traces de nos singularités dans cette acception de la psychohistoire comme 1er mythe moderne. Si Le préhistorien et l’historien traitaient de corpus, de traces plus ou moins parcellaires ou contextualisées (une ressemblance avec les injonctions de standards, de qualité, de fraîcheur, de contextualisation, de toujours plus de Traces ou d’émulateurs pour de vieux OS disparus ?) , dont la traduction peut nous/lui échapper, ils acceptaient leurs biais. Or ce sont ces biais, ces interprétations marquées des faits culturels de leur époque, qui font notre humanité dans un monde que l’on nous prédit de machines à la Matrix. Les biais, ce sont les traces humaines sur la trace machinique automatisée, ce sont les marques de la complexité humaine sur des boîtes noires algorithmiques.. Car ce sont les points d’achoppement à la personnalisation informatique, à la prédiction du devenir et du comportementalisme.. de facto, la psychohistoire, au préalable simple imaginaire d’un écrivain génial, devient la Fondation de l’imaginaire normatif du big Data et de l’IA, une prophétie auto-réalisatrice quasi Oedipienne. Soumis à une ichnologie numérique qui nous dépasse, nous ne nous éduquons pas aux données, nous nous auto-dressons par nos données. Pourtant, quelle que soit la trace produite (empreinte de main à Lascau, empreinte numérique ou traces ou palimpseste), c’est par notre regard et notre capacité à lui accorder foi et sens que nous donnons du pouvoir au signe vu/lu/reconnu, signe dorénavant perceptible sous forme de signal informatique injonctif et normatif. Il ne manquerait plus que des mentals de la Culture aux commandes.
Deuxième mythe
Le second mythe de notre anthropocène agonisant est celui qui trame Dune. Dune, c’est la sélection génomique dans le but de produire l’être suprême, le Kwisatz Haderat, ce « court chemin », qui mène vers l’hégémonie. Une ressemblance avec le transhumanisme,? Or la sélection génomique, comme celle des tomates du supermarché, a montré ses limites. Certes elles sont belles d’extérieur, toutes identiques et bien calibrées, mais outre qu’elles sont sans saveur, elles sont pleines d’eau et ne tiennent pas à la cuisson. La bioéthique a même osé interdire le clonage des êtres vivants. Alors on les clone autrement, par la personnalisation des contenus, qui profile, catégorise, séquence un individu dans son infiniment petit à partir de ses Traces, de cette parcellisation de lui qui devient Lui (rarement Elle d’ailleurs). Il est ses Traces, normalisé pour se conformer à des Persona pré-écrits (pré-Tracés, quasi-Sumérien), à des moyennes statistiques numérisés (de numerus) dont les extrêmes sont souvent présentées comme des aberrations, des bugs, des anomalies productives, des Ghost in the Shell et supprimées. Adapter l’humain changeant aux fonctionnements des machines fiables ? Vive la personnalisation catégorielle, la conformisation de l’humain à un signal informatique.
Troisième mythe
Le troisième mythe du (vieux) solutionnisme technologique découle toujours du Nom donné à chaque âge en relation avec une technologie prédominante : âge de la pierre taillée, âge du bronze, âge du fer, âge des machines (XIXe siècle), âge du nombre (numérique). Mais même l’ordinateur suprême, la machine ultime, chez Asimov tente de se suicider, la mort lui étant préférable à la gestion d’une société « prédite et prédictive », « immuable et ordonnée ». « La vie humaine est désordonnée, complexe et pleine d’anomalies » écrit l’UCLA, en 1920. En 2020, nous sommes pourtant en passe de devenir des tomates bien calibrées. Exit cogito ergo sum, vive le Black Mirror du quotidien, je suis une parmi d’autres ensembles de Traces/nombres dans l’âge de l’IA.
« Une société, où les mots ont un prix avant d’avoir un sens et où les émotions n’ont de valeur qu’à proportion de celle transactionnelle », ne devrait-elle pas se p(au)ser pour p(an)ser nos m(aux)ts au lieu de réclamer encore plus de données pour répondre 42 ?