Quel est aujourd’hui le constat concernant la place des enfants dans nos villes ?
Sarah El Haïry : globalement, les communes ne sont pas très adaptées aux enfants. C’est une réalité que l’on observe partout, liée à des évolutions profondes : la métropolisation des emplois, la concentration des populations dans les grandes agglomérations et les zones périurbaines, mais aussi la crise du logement. Tout cela génère une inadaptation structurelle aux besoins des familles. Par exemple, en matière de mobilité des enfants, l’Ademe vient de rendre publique une étude qui souligne l’importance de repenser l’organisation des abords des établissements scolaires pour les rendre plus praticables pour les déplacements à pied et à vélo. En effet, l’aménagement de l’espace public et des infrastructures de mobilité devient un levier essentiel pour bâtir une ville adaptée aux plus jeunes.
Dans les environnements très urbains, nous avons besoin d’îlots de fraîcheur, de jeux en extérieur, de nature en ville. En zone rurale ou périurbaine, les attentes sont différentes : il s’agit plutôt de créer des lieux de sociabilité pour les adolescents, comme des skateparks, des maisons des jeunes. Les élus, promoteurs et urbanistes doivent intégrer ces mutations dans leur manière de bâtir la ville. Aujourd’hui, certaines communes se veulent « kids friendly », d’autres beaucoup moins. Certains lieux se revendiquent même « no kids ». Ce phénomène, visible notamment aux États-Unis, traduit une vision où l’enfant est perçu comme une nuisance. C’est une forme de discrimination liée à l’âge. Pourtant, quelques aménagements simples suffisent parfois à prendre en compte la présence des enfants. Tout est affaire de volonté.
Quelles solutions existent déjà, en France et à l’international, pour mieux intégrer les enfants dans l’espace public ?
Les exemples ne manquent pas. À Singapour, certains feux tricolores adaptent la durée des cycles vert-rouge en fonction de la présence d’enfants, afin de leur laisser le temps de traverser. À Oslo ou Rotterdam, il existe des applications qui permettent aux enfants de participer directement à l’aménagement de la ville, notamment pour signaler les dangers et identifier les zones les plus inadaptées. En France, la ville de Brest a fait participer des enfants à l’élaboration de son plan local d’urbanisme. La « smart city » peut ainsi devenir une « safe city » pour les plus jeunes.
Les possibilités sont nombreuses : éclairage public intelligent qui adapte son intensité, capteurs de qualité de l’air près des écoles, capteurs de bruit pour améliorer le confort d’apprentissage. Il existe même des bracelets ou applications de mobilité douce pour informer en cas de danger et donner en temps réel la position des bus scolaires. Voilà ce qu’une smart city peut apporter. La technologie peut être un accélérateur d’inclusion pour les enfants. Mais il n’y a pas que le numérique, les aménagements « low-tech » sont également très importants : trottoirs et chemins scolaires sécurisés, passages piétons dotés de revêtements réfléchissants, informations placées plus bas sur les arrêts de bus, pistes cyclables réservées aux enfants. Une ville n’est vraiment intelligente que si elle est à hauteur d’enfant.
Quel rôle les collectivités locales peuvent-elles jouer pour accélérer cette transformation ?
Les collectivités sont la pierre angulaire de la construction d’une ville adaptée aux enfants. Elles peuvent impulser une dynamique par leurs marchés publics, en imposant des critères intégrant les besoins des familles. Elles peuvent aussi renforcer la participation citoyenne des jeunes : conseils municipaux des jeunes, contribution aux réflexions sur l’aménagement, passeports du civisme… Tout cela participe à la construction de l’autonomie des enfants. Par ailleurs, de nombreux outils existent. Le label « Ville amie des enfants », porté par l’Unicef, rassemble déjà plus de 300 communes françaises. Des réseaux d’élus locaux se structurent pour échanger sur les bonnes pratiques.
Côté financement, les solutions sont multiples : fonds européens (Feder, FSE+, European Urban Initiative), programmes nationaux comme « Action Cœur de ville », ou encore subventions régionales et départementales pour soutenir des projets jeunesse. Tout cela peut financer des terrains de jeux, des centres de loisirs, la rénovation d’équipements… J’ai un véritable espoir : que chaque conseil municipal compte un adjoint en charge de la participation des enfants. Plus on place l’enfant au cœur de la ville, plus on construit une société inclusive et tournée vers l’avenir.