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Déchets, stress et pollution dans la ville intelligente : une question d’architecture

Smart city

Tribune rédigée par Claude Rochet, professeur des universités et ancien haut fonctionnaire au ministère de l’économie et des finances.

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« L’intelligence de la smart city n’est pas dans un déluge de technologies mais dans une intelligence de l’architecture de la ville comme système de vie pour privilégier les interactions créatrices et éliminer les autres. » Claude Rochet, professeur des universités et ancien haut fonctionnaire au ministère de l’économie et des finances © Flickr / Alexandra Cavoulacos

Déchets, stress et pollution dans la ville intelligente : une question d’architecture. D’architecture système, bien sûr, celle qui définit les relations entre les sous-systèmes de la ville. Par déchets, nous entendons non seulement les produits intentionnels matériels non réutilisés (les emballages, les produits usagés et les résidus industriels) mais aussi les productions matérielles et immatérielles non intentionnelles comme la pollution, le stress, les nuisances.
Dès 1925 l’économiste Stuart Chase décrit le phénomène dans "The Tragedy of Waste" non pas seulement comme une question économique mais comme mettant en cause diverses disciplines des sciences sociales extérieures à la sphère de la production qui devait être traitée au-delà du coût, en temps perdu, en quantité gaspillée, en qualité de vie, de manière à refléter l’ensemble d’interrelations qui produit les déchets.
La production de déchets fut au cœur du mode de production de la 2ème révolution industrielle. En 1924, le cartel Phoebus, oligopole rassemblant les fabricants de lampes à incandescence, lançaient la pratique de l’obsolescence programmée en raccourcissant la durée de vie des ampoules de 2 500 à 1 000 heures. Les compagnies pétrolières et Renault en France, General Motors aux Etats-Unis, torpillaient les systèmes de tramways électriques pour les remplacer par des autobus. La production de déchets devenait le cœur de l’économie, dénoncée par Kenneth Galbraith dans "La Société d’Abondance" (1958). L’expansion urbaine sans limite aux Etats-Unis, analysée par Lewis Mumford, devient un gouffre de consommation de véhicules, d’énergie et de production de polluants. Avec la mondialisation, c’est une forme plus insidieuse de gestion des déchets qui s’installe en application de la théorie de Lawrence Summers selon laquelle il est plus rationnel de polluer les pays pauvres que les riches*. Si la Chine est devenue le premier pollueur du monde c’est avant tout parce qu’elle a fondé sa croissance sur son rôle de premier atelier des consommateurs du Nord.


L’intelligence de la ville n’est pas celle du numérique mais de sa complexité

Claude Rochet, professeur des universités et ancien haut fonctionnaire au ministère de l’économie et des finances

Le numérique comme solution ? Son industrie consomme 80 % des métaux rares dont l’extraction provoque d’importants dégâts environnementaux. Les datas centers censés optimiser la consommation d’énergie consomment 10 % de la production électrique française. En ingénierie des systèmes complexes, les choses sont interreliées et, Karl Popper l’a montré, la solution d’un problème est un autre problème plus complexe. Le père des nouvelles sciences de la ville, Michael Batty, montre que celle-ci est un système loin de l’équilibre qui doit être réajusté en permanence. Quelles métriques développer pour la piloter, et notamment la question des déchets ?
Dès 1920 l’économiste A.C. Pigou proposait d’intégrer les externalités dans le calcul des coûts : on sait que plus une ville est grande plus elle produits de déchets, de pollution, de stress et que la consommation d’énergie croît de manière plus que proportionnelle à la taille. L’historien Paul Bairoch en 1977 évaluait la taille optimale à 300 000 habitants dans les pays industrialisés, 400 000 pour les autres. Cette taille raisonnable permettrait d’architecturer les transports et les relations domicile / lieu de travail à l’origine de la pollution urbaine, du stress et de la dégradation de la vie sociale. L’intelligence de la smart city n’est pas dans un déluge de technologies mais dans une intelligence de l’architecture de la ville comme système de vie pour privilégier les interactions créatrices et éliminer les autres : l’énergie la moins chère est celle que l’on ne consomme pas parce que l’on a supprimé le besoin. Les technologies nouvelles sont des outils qui permettent de créer de nouvelles configurations urbaines qui peuvent autant générer un big brother totalitaire que de créer une ville humaine et évolutive. Pour cela, c’est une nouvelle comptabilité des coûts publics qui est à inventer : quelles sont les conséquences de l’organisation de l’espace en termes de création et de destruction de vie, de pollution, de stress, de liberté politique ? La technologie va aider mais en tout état de cause la ville intelligente sera un projet politique.

 

*Formulée dans le mémo de Lawrence Summers, secrétaire d’Etat au Trésor de l’administration Clinton, selon lequel il est plus rationnel de délocaliser les activités polluantes vers les pays non industrialisés.

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