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[TRIBUNE] Les collectivités territoriales face au décret tertiaire : comment financer le coût de la transition énergétique ?

Rénovation

Le décret tertiaire, actualisé en 2024, fait vaciller tout un modèle économique local. L’obligation de réduire de 40 % les consommations d’énergie des bâtiments publics d’ici 2030 va au-delà du défi technique. C’est une équation budgétaire redoutable pour les collectivités. Heureusement des solutions existent. Entre fonds publics, prêts de performance et montages hybrides, une nouvelle ingénierie du financement émerge peu à peu.

 

Tribune rédigée par Frédéric Pierre, Directeur général délégué de Powesco

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Frédéric Pierre, Directeur général délégué de Powesco. Crédit Photo : Powesco. Photo de homepage générée par IA.

Pour les élus, l’équation est compliquée. Le décret tertiaire impose des réductions de 40% d’ici 2030. Les jalons suivants sont de 50% en 2040 et de 60% en 2050 (1). Tous les bâtiments publics de plus de 1 000 m² sont concernés. Les acteurs publics devront transmettre toutes les données sur la plateforme OPERAT de l’ADEME (2). Selon I4CE, l’Institut de l’Économie pour le Climat, les collectivités devront investir près de 12 milliards d’euros par an d’ici 2030, la seule solution pour tenir la trajectoire climat (3). C’est là que le casse-tête commence.

 

La quadrature du cercle pour les collectivités locales

Dans la réalité, cette injonction se heurte à des capacités d’autofinancement en baisse alors même que les bâtiments sont vieillissants et l’inflation énergétique préoccupante. Certes, les métropoles disposent des équipes d’ingénierie nécessaires pour piloter ces projets. Néanmoins, beaucoup de communes rurales n’ont ni les moyens ni les outils pour planifier leurs rénovations. Ce déséquilibre pourrait bien creuser une nouvelle fracture territoriale de la transition. Face à l’ampleur du défi, la tentation est grande de s’en remettre uniquement aux aides publiques.



Le piège du "tout-subvention"

CEE, Fonds vert, ACTEE, DSIL, FEDER… Autant de dispositifs nécessaires mais qui sont souvent labyrinthiques. Sans compter le fait qu’en réalité, ces subventions ne couvrent qu’environ 30 à 40% du besoin total (4). Résultat : le reste dépend d’investissements locaux déjà contraints. Pour éviter d’alourdir leur dette, nombre de collectivités choisissent d’étaler les chantiers sur plusieurs années. Un choix prudent, mais qui a un coût caché : chaque report éloigne un peu plus les objectifs 2030 et renchérit la facture globale. À cela s’ajoute le manque d’ingénierie financière interne. Monter un projet de rénovation performante suppose études, audits, calculs de gains, suivi contractuel. Or ces expertises sont rares dans les services municipaux.

 

Des projets retardés par manque de financement

En conséquence, des projets techniquement prêts restent souvent bloqués par manque de ressources humaines ou de visibilité budgétaire. Dans ce contexte, les dispositifs de préfinancement et de tiers-investissement offrent une porte de sortie. Les travaux sont engagés immédiatement, financés par un tiers, puis remboursés via une redevance lissée sur plusieurs années et adossée aux économies d’énergie. Autrement dit, les collectivités peuvent agir sans attendre et sans dégrader les comptes publics. Peu à peu, les territoires inventent une autre manière de faire : croiser les financements publics et privés autour d’une logique commune, celle de la performance garantie.



Vers un écosystème territorial du financement énergétique

Le Fonds vert a soutenu plus de 2 000 rénovations d’écoles, pour environ 700 millions d’euros entre 2024 et 2025 (5). C’est un point de départ, pas une solution durable. D’autres leviers prennent le relais, notamment les prêts Intracting (6). Ces derniers, adossés à un contrat de performance énergétique (CPE), permettent de financer les travaux à 100% : les économies d’énergie servent ensuite à rembourser le prêt. La Banque des Territoires et la Banque européenne d’investissement (BEI) soutiennent ces montages en couvrant jusqu’à l’intégralité du coût initial, à condition que la performance soit mesurable (7).

 

Dans la même veine, le modèle ESCO développé par les sociétés de services énergétiques transpose au secteur public une logique venue de l’industrie : l’opérateur avance les coûts, se rémunère sur les gains et supporte le risque de résultat. Pour les budgets locaux, c’est un véritable changement de paradigme : transformer un investissement en une dépense de fonctionnement sur laquelle il est possible de réaliser des économies contractuelles et mesurables. Enfin, la mutualisation intercommunale s’impose peu à peu. En regroupant leurs bâtiments dans des portefeuilles communs, les collectivités atteignent une taille critique qui facilite les montages ESCO et ouvre l’accès aux programmes européens ELENA et FEDER (8).


De la contrainte à l’opportunité : faire du décret tertiaire un accélérateur d’investissement

L’enjeu n’est plus seulement technique. Il devient politique et symbolique. Réussir la transition, c’est démontrer qu’un bâtiment public sobre peut devenir une vitrine d’efficacité. Le basculement de logique est profond : il s’agit de passer de la dépense à la performance vérifiée (9). Le modèle ESCO et les CPR réintroduisent la logique d’investissements mesurés. Ils garantissent des résultats dans la durée, rassurent les financeurs et donnent aux élus une visibilité budgétaire rare, sans alourdir les comptes publics. Mais la transformation est aussi culturelle.

 

Présenter la transition énergétique non comme une charge, mais comme une valeur patrimoniale et citoyenne, c’est redonner du sens à l’action publique. Une école rénovée, une mairie plus sobre ou un gymnase modernisé deviennent des signes concrets d’efficacité et d’attractivité. Autrement dit, ce n’est pas qu’une question d’énergie, mais de gouvernance. Mutualiser les expertises (AMO, ingénierie, suivi des données), centraliser les achats, standardiser les contrats : autant de leviers qui conditionnent la massification des rénovations, la mesurabilité et l’efficacité collective.


Face au décret tertiaire, les collectivités n’ont plus le choix : il faut investir, mais autrement. La clé réside dans un écosystème territorial du financement énergétique, fondé sur la cohabitation intelligente de fonds publics (Fonds vert, FEDER), de prêts dédiés (Intracting, BEI) et de modèles ESCO à engagement de performance. Ce triptyque permet d’agir sans attendre, sans grever les budgets et avec des résultats garantis. Au lendemain du Salon des maires 2025, le message est clair : la transition énergétique locale n’est pas un coût, mais une opportunité d’efficacité et de valeur publique.

 

Sources :

(1) Arrêté du 20 février 2024 modifiant celui du 10 avril 2020 sur le dispositif Éco Énergie Tertiaire – Légifrance, mars 2024.
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000049273763
(2) Plateforme OPERAT – ADEME, données 2025.
https://operat.ademe.fr
(3) I4CE, Les investissements climat en France 2024 – Institut de l’Économie pour le Climat, mars 2025.
https://www.i4ce.org/publication/les-investissements-climat-en-france-2024
(4) Cerema / ACTEE, Guide des aides à la rénovation énergétique des bâtiments publics – février 2024.
https://programme-cee-actee.fr/wp-content/uploads/2025/06/ACTEE_Livre-blanc_WEB_pages_bd.pdf
(5) Ministère de la Transition écologique, Fonds vert – Bilan 2025 – septembre 2025.
https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/documents/Bilan-technique-2024-fonds-vert.pdf
(6) Banque des Territoires, Intracting – Guide des financements pour les collectivités – septembre 2024.
https://www.banquedesterritoires.fr/sites/default/files/2024-09/Edure%CC%81nov%20-%20Guide%20financement.pdf
(7) Banque européenne d’investissement (BEI), Investissements en France 2024 : 12,6 Mds € en faveur de la croissance et de la transition verte – communiqué du 13 février 2025.
https://www.eib.org/fr/press/all/2025-088-le-groupe-bei-a-investi-126-milliards-d-euros-en-france-en-2024-en-faveur-de-la-croissance-de-la-transition-verte-et-de-l-innovation
(8) ELENA – European Local Energy Assistance, Programme d’assistance technique pour les investissements territoriaux durables, BEI / Commission européenne, 2025.
https://commission.europa.eu/funding-tenders/find-funding/eu-funding-programmes/elena_en
(9) Ministère de la Transition énergétique / Programme ACTEE, Contrats de performance énergétique : cadre et retours d’expérience – juillet 2025.
https://programme-cee-actee.fr/wp-content/uploads/2025/07/Guide-CPE_VWEB.pdf

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