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[TRIBUNE] Véhicules autonomes : pour un élargissement du domaine de la lutte des transports collectifs

Mobilité

Tribune rédigée par Thomas Matagne, fondateur d’Ecov et Laurent Taupin, Directeur de projet Ecov

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Annoncé comme le futur de la mobilité depuis près d’un siècle, le véhicule autonome (VA) a fait d’immenses progrès, de l’ascenseur au 19ème siècle à la flotte Waymo de Google. Le gouvernement français, au travers d’une « stratégie nationale » dédiée, ambitionne son fort développement. Aujourd’hui à la croisée des chemins, ce développement doit prendre la bonne direction. Si dans la bataille de la transition, le VA peut être un atout et contribuer à un leadership européen en matière de mobilité durable, c’est à la condition d’être pensé de manière systémique.

 

Le VA est assurément une rupture technologique. La disparition du conducteur conduit à rêver une mobilité favorisée, sans obstacle humain. Mais ce rêve se heurte au principe de réalité : le VA ne sera pas la solution miraculeuse aux problèmes de la mobilité.


D’abord, quel que soit le degré d’autonomie visé, le VA n’est pas technologiquement mature. Sa généralisation interviendrait trop tard pour constituer une véritable réponse à l’urgence climatique.
Ensuite et surtout, cette généralisation en « simple » remplacement des voitures individuelles n’est ni souhaitable, ni possible.


Non souhaitable, en raison de son impact environnemental catastrophique dans le cas d’une généralisation « à l’américaine », centrée sur le véhicule et son usage individuel et sans régulation. Avec à la clé la chute du taux d’occupation des véhicules (TO), déjà en baisse constante… et qui pourrait passer sous le seuil d’une personne par véhicule, plancher indépassable jusqu’à présent. Et donc, comme le pointe la Fabrique écologique, des impacts énergétiques délétères : hausse des distances parcourues, aggravation de l’étalement urbain, congestion, roulage à vide…


Impossible car, plus cher que les véhicules particuliers, le VA ne pourra être massifié et concurrencera, au mieux, les seuls taxis et VTC. Selon une récente étude du MIT/Harvard, ses coûts réels d’exploitation ont été significativement sous-estimés, notamment du fait de l’inadéquation entre offre et demande suivant les périodes creuses ou de pointe.


Plus encore, l’impact d’un paramètre majeur (et donc les coûts de développement associés) a été drastiquement sous-estimé : la bascule de la responsabilité du conducteur vers celle du concepteur du système. Or, cette bascule impose des exigences et contraintes inconnues du monde de l’automobile, puisqu’il s’agit de créer des systèmes suffisamment sûrs pour être certifiables, comme pour les trains, avions, ou fusées. Atteindre cette nécessaire fiabilité par des améliorations incrémentales semble bien incertain : ce serait comme espérer obtenir l’ampoule en perfectionnant la bougie.


Bien plus qu’une amélioration de la voiture, le VA est la réinvention du système socio-technique. Quitte à le réinventer, autant le faire dans l’objectif d’une mobilité durable.


Réconcilier VA et intérêt général

Dans la nécessaire révolution de la mobilité, le VA peut être un levier majeur, pour peu que soit dessinée une nouvelle voie, fondée non sur l’individualité du véhicule mais sur l'optimisation du service rendu, à savoir : déplacer des personnes et des biens. Avec une question fondamentale : quelle valeur et quel impact du VA ?
La disparition du conducteur humain rend possible la circulation de véhicules à coût marginal. Cela permet de rêver une optimisation à moindre coût de la redistribution des véhicules là où il y a le plus de demande de déplacements, notamment hors des centres-villes.


Le VA pourrait ainsi contribuer à l’émergence d’un nouveau modèle de mobilité, découplant les trajets des personnes et des véhicules. Un modèle vertueux, reposant sur le triptyque « système routier » (infrastructures + véhicules), usage et taux d’occupation optimisé – ce dernier étant un facteur clé pour la baisse des externalités négatives.


Cette vision peut être rapidement concrétisée. Par exemple, il est déjà possible, à moindre coût, d’accroître le TO des véhicules en déployant des VA sur des voies réservées intelligentes.


Vers un leadership européen en matière de mobilité partagée

Malgré le retard de l’Europe dans le développement du VA, notamment par rapport aux Etats-Unis et à la Chine, la bataille n’est pas perdue : en concentrant le VA sur un domaine d’usage maîtrisé et articulé avec l’infrastructure, il est possible de développer les systèmes sûrs à moindre coût, en alternative à la vision « véhiculo-centrée » prédominante jusqu’à présent.


Il pourrait ainsi y avoir convergence de la stratégie industrielle et de l’objectif de mobilité durable. Le VA pourrait être mis au service d’une politique publique de mobilité d’intérêt général (des liaisons spécifiques et complémentaires aux transports collectifs), dès lors qu’on le ferait circuler sur des voies réservées intelligentes pensées à la fois pour cet usage spécifique et pour accueillir techniquement le VA.


Dans les transitions qui dessinent ce siècle, l’avantage ira aux approches systémiques : à ce jeu-là, la vieille Europe a de beaux atouts. Avec le VA, tout véhicule pourra devenir un transport partagé… Pourvu qu’on le veuille.

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