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Le téléphérique, transport en commun des brestois

Mobilité

Brest expérimente depuis près d'un an un téléphérique urbain complètement intégré à son réseau de transports en commun. Une première française, qui mêle désenclavement d’un quartier, adéquation avec des ambitions écologiques, et capacités d’innovation.

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Le premier téléphérique urbain français a été inauguré en novembre 2016 à Brest.

Il fêtera bientôt sa première bougie. Le premier téléphérique urbain français, inauguré en novembre 2016 à Brest, devrait alors, selon les pronostics, avoir attiré près de 675 000 voyageurs. Et contrairement à ceux de Grenoble ou de Toulon, en service depuis les années 30 et les années 50, sa vocation n’est absolument pas touristique. Conçu par la société Bartholet BMF et exploité par Keolis Brest, ce téléphérique est complètement intégré au réseau de transports en commun de l’agglomération. Les passagers l’empruntent grâce à un titre de transport standard, sans surcoût et fonctionnant en correspondance. « L’objectif est de relier deux zones urbaines, et cette intégration au réseau facilite la vie des usagers, commente Cyril Mascé, directeur marketing de Keolis Brest. Derrière, il y a une volonté de la collectivité : développer le quartier des Capucins et redynamiser la rive gauche de Brest. L’accessibilité est devenue un enjeu. »

 

Répondre à la problématique d’un quartier enclavé

Avant l’arrivée du téléphérique, il fallait effectuer un détour par les ponts pour relier les deux secteurs, et choisir entre la congestion du trafic routier ou 30 minutes de marche... Aujourd’hui, 3 minutes au-dessus du fleuve Penfeld suffisent. Le téléphérique, long de 420 mètres, connecte directement la station Jean-Moulin, en centre-ville, au quartier des Capucins, objet d’un programme de rénovation urbaine – un futur éco-quartier. « Lorsque nous avons terminé notre tramway, en 2012, nous nous sommes penchés sur le problème de desserte de cette rive du fleuve » se souvient Alain Masson, adjoint au maire de Brest et vice-président de Brest métropole. La Marine Nationale, située en contrebas du quartier des Capucins, a alors soumis une contrainte à la collectivité : si elle construisait quelque chose, les navires devaient pouvoir passer dessous. « Par conséquent, si nous options pour un pont, il devait être de type recouvrance ; et comme nous ne voulions pas densifier le nombre de voitures dans le secteur, ça faisait un peu cher le pont piéton... » poursuit Alain Masson.

Le téléphérique relie le quartier des Capucins au centre-ville de Brest.

Forte de ces éléments, Brest étudie ce qui existe en Espagne, en Allemagne et dans quelques pays d’Amérique du sud, avant de décider de déployer son téléphérique. Les travaux durent environ 1 an et le coût - 19 millions d’euros investis par l’Etat, la région, la métropole... - s’avère faible au regard des autres possibilités qui s’offraient à la collectivité : entre 20 et 23 millions pour une passerelle levante, entre 40 et 60 millions d’euros pour un pont. Le téléphérique est un choix gagnant pour la qualité de vie des usagers – travaux peu perturbant pour la circulation automobile, fonctionnement silencieux - et en cohérence avec le plan climat de la métropole puisque l’énergie utilisée est d’origine électrique non fossile et qu’un mécanisme de récupération énergétique a été mis en place. « Lorsque le téléphérique descend, le poids de la cabine entraîne le système et la batterie du moteur électrique se charge rapidement ; et en montée, cette énergie est réutilisée » explique Cyril Mascé. Peu énergivore, le téléphérique atteint toutefois une vitesse de trente kilomètres à l’heure.


Smart glass et saut-de-mouton par câble

Le déploiement d’une telle infrastructure ne s’est pas fait sans difficulté, notamment juridique. En effet, il est codifié par la loi Montagne et doit répondre à un certain nombre d’exigences, à commencer par l’interdiction du survol d’habitations sans autorisation des propriétaires. « Le téléphérique survole un secteur dont l’unique propriétaire est le préfet maritime, et il nous a rapidement donné son accord », rapporte Alain Masson. Pour ne pas incommoder les quelques locataires en contrebas et préserver leur intimité, les cabines du téléphérique ont été équipées d’un système qui teinte les vitres quelques secondes. « Cette smart glass fonctionne grâce à des cristaux liquide. Les vitres peuvent s’opacifier à la demande et lorsqu’on envoie du courant électrique à l’intérieur, elles redeviennent transparentes » détaille Cyril Mascé. Le représentant de Keolis Brest présente également l’innovation dit « du saut-de-mouton par câble », qui est l’une des particularités de l’ouvrage breton : « Les cabines se superposent, elles passent l’une au-dessus de l’autre, ce qui nous permet d’avoir un seul quai au départ et à l’arrivée. »
Autre obstacle législatif rencontré par Alain Masson, « l’obligation d’avoir du personnel dans les cabines accueillant plus de 30 personnes. Or, comme nous voulions un téléphérique automatique, et donc sans personnel à bord, nous avons dû trouver une solution ». L’astuce de la métropole ? Séparer la cabine en deux, pour accueillir 60 personnes réparties dans deux espaces. « Depuis, la législation a évolué, donc nous avons enlevé les parois de séparation » poursuit le vice-président. L’Etat souhaite aujourd’hui encourager ce mode de transport durable. L’ordonnance 2015-1495 permet à présent de se passer de l’autorisation d’un propriétaire pour survoler son terrain dans le cadre d’un projet d’infrastructure de transport par câble en ville. « Dans les années 2000, plusieurs projets de téléphérique urbain se sont retrouvés bloqués par des règles conçues pour la montagne, commente Cyril Mascé. Le chemin institutionnel sur Brest a été plus favorable. »


Le tout automatique, un choix à double tranchant

« Le système est très automatisé, très sensible, très précautionneux, donc c’est tout noir ou tout blanc. Au moindre voyant orange, ça génère des arrêts... » déplore Cyril Mascé.

Les règles régissant les téléphériques évoluent donc pour être davantage en phase avec le monde urbain. Mais ne sont-elles pas devenues trop souples ? Certains se sont posé la question après la série noire vécue à Brest, accusant notamment les décideurs de trop de précipitation. « On aurait dû faire un peu plus de marche à blanc, d’autant que c’était un projet nouveau pour l’opérateur », reconnaît Alain Masson. Panne électrique, panne informatique, défaut technique - comme l'ouverture des portes en plein vol pendant des phases de tests après l’inauguration -, passagère blessée à cause d'un freinage d'urgence... le téléphérique fait parler de lui et cumule les arrêts de services. « Il n’y a jamais eu de mise en danger des passagers, précise Cyril Mascé. Tous les matins, nous faisons des essais pour nous assurer que le téléphérique est fonctionnel. Et c’est à ce moment-là que les portes se sont ouvertes. »

Principal accusé des dysfonctionnements : le mode automatique du téléphérique. D’un côté, il permet d’envisager, à terme, un contrôle mutualisé depuis le centre de pilotage du réseau de transports publics, situé à quelques kilomètres de l’infrastructure. Mais il cause aussi des problèmes... « Nous avons de fortes contraintes en ville comparé à la montagne, notamment la fiabilité du service à 100% ! Les constructeurs n’ont pas bien appréhendé le fait que notre téléphérique est un mode de transport urbain... déplore Alain Masson. Et le niveau de sécurité est excessif, à la moindre anomalie, tout le système s’arrête ! » « Le système est très automatisé, très sensible, très précautionneux, donc c’est tout noir ou tout blanc, confirme Cyril Mascé. Au moindre voyant orange, ça génère des arrêts... » La vitesse du vent peut également affecter l’infrastructure : passé les 108 km/h, le téléphérique stoppe instantanément, y compris en plein milieu de son trajet. Alors, pour éviter que des usagers se retrouvent suspendus des heures dans le vide, l’utilisation du téléphérique est prohibée dès 90 km/h...

Malgré toutes ces difficultés, le succès est au rendez-vous, avec 400 000 voyages enregistrés entre novembre et mai. « Tout nouveau système a une phase de rodage. Du plan papier à la réalité, il y a toujours des différences, et comme il y avait une forte attente, le rodage n’a pas toujours été bien compris » estime Cyril Mascé. Quoi qu’il en soit, l’expérience de Brest fait des émules. Une douzaine de projets de téléphériques urbains sont actuellement à l’étude en Île-de-France, et une dizaine d’autres au plan national, comme l’aérotram, qui pourrait relier en 10 minutes un centre de recherche, un centre hospitalier et une université à Toulouse, ou encore la télécabine d’Orléans, qui pourrait permettre de franchir les voies de la gare de Fleury-les-Aubrais.

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